La Soupe aux Choux, c’est vraiment l’endroit idéal pour tous les jazzmen grenoblois. Voilà presque trente ans que ce chaudron bouillonnant convole vers les sphères over-swingantes de la musique jazz. Non pas du jazz mais des jazz. L’idée géniale (n’ayons pas peur des mots) est née en 1982 dans l’électrocéphalogramme de deux ex-parisiens, qui jadis sévissaient dans les MJC locales au son du blues, du rag-time, du rock irlandais ou cajun. Leur soucoupe volante étant tombée en panne au dessus de Grenoble, le Glaude et la Denrée, pardon Jacques Perez et Francis Loret, se disent qu’il faut bien refaire le plein de swing, s’ils veulent repartir vers de nouvelles aventures cosmiques.
C’est alors que l’idée germe. Les deux compères annexent une ancienne épicerie au lieu dit «7, route de Lyon» et y planquent leur soucoupe volante pour une durée indéterminée. À l’époque ils ne connaissent personne. La réciproque était encore plus vraie. Mais rapidement, les jeunes propriétaires se forgent un noyau de fidèles, se chargeant de colporter la bonne nouvelle. À l’origine, l’idée n’était pas de créer un jazz club à part entière, mais plutôt une sorte de café théâtre où tous les arts, ou presque, devaient s’entremêler. Le jazz bien sûr, mais aussi le rock, la world music, le théâtre et même des soirées cinéma muet sonorisées au piano. Quand la clientèle se faisait rare, les deux extraterrestres fermaient à minuit pour aller coller des affiches dans la rue.
Très vite, la Soupe aux Choux affiche complet. Un an plus tard, la boite de jazz ne proposait déjà qu’une soirée non jazz sur cinq. Pourquoi un tel élagage, nous dirons-nous. La sélection c’est produite d’elle-même, tant la demande était forte. Un vrai lieu jazzy manquait cruellement à Grenoble. Avec la Soupe aux Choux, le mal était réparé. En quelques années, les jazzmen dauphinois investissent littéralement le chaudron et le considérèrent comme leur résidence secondaire. «Viens chez-moi, j’habite chez des copains… qui tiennent une boite de jazz. En plus.»
Des petits jeunes venus se mesurer aux vieux roublards du saxo alto, la Soupe voit passer en quelques années tous les jobards du jazz régional cherchant le privilège d’y égrener un p’tit accord. Les semelles les plus célèbres viennent également donner la mesure. En 1987, Chet Becker et sa trompette éblouissent un parterre d’oreilles en extase. Quelques big boss parisiens se donnent rendez-vous à la Soupe. Un premier concert mémorable offert parRoger Guérin et Michel Roques créé l’écho jusqu’à Paris. Quinze jours plus tard, le duo Avanistas-Guillot vient voir de lui-même s’il est bien vrai qu’on joue avec autant de plaisir à la Soupe. Les années suivantes d’autres stars tombent dans le chaudron : Randy Wetson, Benny Powel, Georges Lewis, 11 Dièse Quartet, Jean Jacques Milteau, Trio Origlio, Crazy Cat’s, Just Jazz, Charley Stomp, Head Hunters, Marcel Zanini, Louis Winsberg, Clide Lucas, Elisabeth Caumont, Pierre Drevet, Guillaume Poncelet et beaucoup, beaucoup d’autres.
Pas besoin néanmoins de s’appeler Louis Armstrong pour gonfler ses joues ou enfler le bout de ses doigts à la Soupe. Elle reste l’endroit où tous les musiciens peuvent se rencontrer le temps d’un p’tit boeuf ou plus si affinités. Un tremplin pour les novices, un havre pour tous. Alors merci aux musiciens. Sans eux, la Soupe aux Choux n’aurait pas la même saveur.